Miti è Literatura - Mythes et Littérature
Ulissi ind'è li Lestrigoni - Ulysse chez les Lestrygons
Les Lestrygons (en grec ancien Λαιστρυγόνες / Laistrugónes) sont, dans la mythologie grecque, un peuple mythique féroce et cannibale. Ils sont principalement cités dans l’Odyssée d'Homère, qui parle des « Lestrygons robustes, moins hommes que géants1 » (X, 120).
Mythe
Après son second départ de chez Éole, le maître des Vents, Ulysse touche le septième jour
« (...) au pays lestrygon, sous le bourg de Lamos, la haute Télépyle, où l'on voit le berger appeler le berger : quand l'un rentre, il en sort un autre qui répond ; un homme dégourdi gagnerait deux salaires, l'un à paître les bœufs, l'autre les blancs moutons ; car les chemins du jour côtoient ceux de la nuit. »
(Odyssée, X, 82-86)
Ayant accosté, Ulysse envoie des éclaireurs qui rencontrent la fille d'Antiphatès, le roi des Lestrygons. Celle-ci leur désigne la demeure de son père, mais sitôt qu'ils y entrent, la reine ameute son mari qui tue et dévore plusieurs hommes. Les survivants regagnent les navires, poursuivis par des milliers de Lestrygons qui provoquent un grand massacre parmi les compagnons d'Ulysse. Celui-ci parvient à fuir dans un vaisseau, avec quelques survivants.
Cet épisode précède l'arrivée d'Ulysse chez Circé, sur l'île d'Ééa.
La société des Lestrygons
Les Lestrygons ne sont pas Grecs, mais Homère se les représente fictivement sur le modèle des rois achéens du temps de la guerre de Troie (XIIe siècle avant notre ère) : il leur prête un palais dans une ville haute à laquelle il donne un nom grec, Télépyle, ce qui signifie « la Pylos des Lointains », par opposition à la « Pylos des sables », la cité hellénique du sage Nestor. La ville possède « un port bien connu des marins », au fond d'un bras de mer : « une double falaise, à pic et sans coupure, se dresse tout autour, et deux caps allongés qui se font vis-à-vis au-devant de l'entrée, en étranglent la bouche.»
Les Lestrygons vivent dans une société organisée, au sein d'une ville, en grec ἄστυ, construite au sommet d'une falaise, et pourvue d'une place publique, une agora. « L'illustre palais » de leur roi, qui se nomme Antiphatès, est une belle demeure « aux toits élevés » dominant cette agora. Le peuple des Lestrygons appartient à la race des Géants, et forme un groupe de vaillants guerriers qui se rassemblent dès qu'ils entendent pousser le cri de guerre. L'épouse du roi, « haute comme le sommet d'une montagne », suscite une impression d'effroi chez les compagnons d'Ulysse. Et tout ce monde pratique l'anthropophagie rituelle dans le cadre d'un festin, ce qu'indique le mot grec de δαῖτα.
Localisation des Lestrygons
Bien que présentés sous des traits mythiques, les Lestrygons et leur capitale, Télépyle, ont été localisés dès l'Antiquité par Thucydide en Sicile, là où vivaient aussi les Cyclopes. Le port de cette Télépyle est « bien connu des navigateurs », précise Homère, et en effet, les navigateurs grecs, dès le Xe siècle av. J.C. commerçaient avec le peuple des Tyrrhéniens pour l'importation du minerai de plomb, d'argent ou de cuivre de l'île d'Elbe et de la Sardaigne, et ont pu y faire escale. Mais le fait que les Lestrygons soient un peuple de Géants anthropophages assaillant à coups de blocs de roche les navires, dit clairement que la population de cette Télépyle se montrait féroce pour le contrôle de son port et de la navigation. Si l'on écarte une localisation en Sicile, où aucun site naturel ne répond à la description très précise d'Homère, il reste à situer Télépyle à l'aide des autres indications données par le poète, et qui sont de nature à guider des marins en mer Tyrrhénienne. Chez les Lestrygons, peuple de pasteurs, Homère dit que « le berger appelle le berger », ce qui est l'indice culturel bien connu de ces longs appels modulés que lancent en alternance les gardiens de troupeaux, en Corse et en Sardaigne, lorsqu'ils font mouvement. Que « les chemins du jour avoisinent ceux de la nuit », peut être interprété comme une allusion à la longueur des journées estivales par rapport aux nuits, dans les confins septentrionaux de la Méditerranée occidentale tels que se les représentaient les navigateurs grecs entre le VIIIe et le VIe siècle av. J.C. Comme Victor Bérard, Jean Cuisenier situe donc Télépyle sur la côte sarde, précisément au fond du bras de mer de Porto Pozzo, « le Port du Puits », à l'ouest des îles actuelles de La Maddalena, entre la pointe Monte Rosso et la pointe delle Vacche. L'adéquation entre ce site et la description homérique du port, de ses falaises, et du rocher à l'embouchure est parfaite. En outre, le cap de l'Ours qui se découpe sur la ligne de crête de cette côte, constitue un amer aisément mémorisable, qui signale les sources alentour : la silhouette de cet Ours de roche rouge, dressé sur ses pattes, que signalent aussi Ptolémée et les modernes Instructions nautiques, vérifie donc aussi le vers d'Homère sur « la source de l'Ours aux belles eaux courantes où la ville s'abreuve ».
Les Lestrygons et les ethnies nurraghiques (Corsi, Balari, Iolei)
Selon toute vraisemblance, l'épisode d'Ulysse et des Lestrygons évoque un conflit entre navigateurs grecs et guerriers sardes. Les Lestrygons d'Homère pourraient donc bien avoir pour modèle historique un peuple indigène des côtes sardes. Des échanges étaient en effet pratiqués entre marins grecs et populations sardes à l'époque où Ulysse est censé avoir vécu, entre 1400 et 1180. Ces populations avaient atteint un haut degré de civilisation entre le XIIIe et le VIIIe siècle av. J.C., soit bien avant l'arrivée des Phéniciens et des Carthaginois. Leurs nombreuses constructions mégalithiques, les nuraghe, sont de spectaculaires bâtiments en gros blocs de pierre assemblées sans mortier, avec des tours en forme de cônes tronqués pouvant atteindre vingt mètres de hauteur. La plupart de ces hautes tours sont encore traditionnellement considérées comme l'œuvre de Géants, et nombreux sont les lieux nommés « Tombe di Giganti » en Sardaigne. Le nom même de la mer Tyrrhénienne qui borde ces côtes nord, est et sud de la Sardaigne dérive d'ailleurs de l'ethnique grec Τυρρηνοί ou Τυρσηνοί, qui signifie « bâtisseurs de tours ».
Tartessos, la Sardaigne, la Corse dans le "Voyage en Grèce" de Pausanias
XVII. [1] Ces Barbares qui sont au couchant et qui habitent la Sardaigne ont aussi voulu honorer le Dieu par un hommage public, en lui consacrant une statue de bronze qui représente leur fondateur. La Sardaigne est un île que l'on peut mettre au nombre des plus considérables, soit pour sa grandeur, soit pour la fertilité de son terroir. Je n'ai pu découvrir comment elle s'appelait autrefois dans la langue du pays. Mais je sais que les premiers Grecs qui allèrent y trafiquer la nommèrent Ichnusse, à cause de sa figure assez semblable à celle du pied d'un homme. Sa longueur est de onze cent vingt stades, et sa largeur de quatre cent soixante et dix.
[2] On dit que les premiers étrangers qui soient venus s'établir dans cette île étaient des Libyens conduits par Sardus fils de Macéris, qui en Egypte et en Libye avait le surnom d'Hercule. Macéris son père, n'est guère connu que par un voyage qu'il fit à Delphes. Pour lui, il mena une colonie de Libyens à Ichnusse. C'est pourquoi l'île quitta son premier nom, pour prendre celui de cet illustre étranger. Les anciens insulaires ne furent néanmoins pas chassés, ils se virent seulement contraints de recevoir ces nouveaux hôtes, qui ne s'entendant pas mieux qu'eux à bâtir des villes, habitèrent comme eux dans des cabanes ou dans les premiers antres que le hasard leur fit trouver.
[3] Quelque temps après, Aristée aborda en cette île avec une troupe de Grecs qui avait suivi sa fortune. On dit qu'il était fils d'Apollon et de la nymphe Cyrène, et qu'inconsolable du malheur arrivé à Actéon, il quitta la Grèce, renonça à sa patrie et alla chercher un établissement en Sardaigne.
[4] Quelques-uns prétendent que dans le même temps, Dédale qui craignait la colère et la puissance de Minos, s'enfuit de Crète et qu'il se joignit à Aristée pour lui aider à établir sa colonie. Mais on ne me persuadera point qu'Aristée, qui avait épousé Autonoé fille de Cadmus, ait pu être aidé dans cette entreprise par Dédale, qui vivait dans le temps qu'Oedipe régnait à Thèbes. Quoi qu'il en soit, les Grecs qu'Aristée mena avec lui ne bâtirent non plus aucune ville en Sardaigne, apparemment parce qu'ils étaient trop faibles et en trop petit nombre pour pouvoir venir à bout d'un pareil dessein.
[5] Après Aristée vint une peuplade d'Ibériens conduite par Norax. Ceux-ci bâtirent une ville, et du nom de leur chef l'appelèrent Nora. On tient que c'est la première qui ait été bâtie en cette île, et l'on croit que ce Norax était fils de Mercure et d'Erythée fille de Géryon. Cette peuplade fut suivie d'une autre commandée par Iolas et composée de Thespiens, auxquels s'étaient joints quelques peuples de l'Attique. Ils fondèrent les villes d'Olbie et d'Agylé. Cette dernière fut ainsi nommée par les Athéniens, soit du nom de l'une de leurs tribus, soit du nom d'Agyléus, un des chefs de la colonie. On voit encore aujourd'hui en Sardaigne des lieux qui portent le nom d'Iolées, et dont les habitants rendent de grands honneurs à Iolas.
[6] Après la prise de Troie, les Troyens qui purent échapper au sac de cette malheureuse ville s'étant dispersés, plusieurs se sauvèrent avec Enée. De ceux-là une partie fut jetée par les vents en Sardaigne, où, reçue favorablement des Grecs qui y étaient établis, elle ne fit plus qu'un peuple avec eux. Les Barbares ne firent la guerre ni aux Grecs, ni aux Troyens ; premièrement, parce que depuis cette jonction, la force était égale entre les uns et les autres ; et en second lieu, parce que le fleuve Thorsus qui traverse l'île séparait les deux armées, et qu'aucune des deux ne voulait passer ce fleuve en présence de l'autre.
[7] Après un long espace de temps, les Libyens firent une seconde descente en Sardaigne, mais avec des troupes plus nombreuses qu'auparavant. Ils n'eurent pas plus tôt débarqué qu'ils attaquèrent les Grecs, et les ayant vaincus ils les passèrent tous au fil de l'épée, ou du moins il en échappa bien peu. Quant aux Troyens, ils se réfugièrent dans les plus hautes montagnes, dont les rochers pointus et les précipices leur servirent de rempart ; ils s'y maintinrent si bien qu'ils subsistent encore à présent sous le nom d'Iliens ; mais avec le temps ils ont pris l'armure, l'habillement, les moeurs et même la figure des Libyens.
[8] Près de la Sardaigne est une autre île que ces mêmes Libyens nomment l'île de Corse, et que les Grecs appellent Cyrnos. Une partie considérable des habitants de cette île, chassée par l'autre dans une sédition qui les divisait, passa en Sardaigne, alla occuper les montagne et s'y bâtit quelques villes. De là un peuple que dans la Sardaigne même on nomme les Corses, du nom qu'il portait en son propre pays.
[9] Dans la suite les Carthaginois s'étant rendus fort puissants par mer, vinrent s'emparer de la Sardaigne et en soumirent tous les peuples, à l'exception des Iliens et des Corses, que leurs montagnes défendaient contre cette invasion. Ils bâtirent ensuite deux villes, Caralis et Soulches. Mais lorsqu'il fut question de partager les dépouilles de l'ennemi, les Ibériens et les Libyens, qui avaient en bonne part à cette conquête, mécontents du partage, abandonnèrent les Carthaginois, gagnèrent aussi les hauteurs et s'y cantonnèrent. Les Corses leur donnèrent le nom de Balares, qui, dans la langue du pays, veut dire des fugitifs.
[11] Voilà quelles sont les nations et les villes de la Sardaigne. Cette île, du côté qu'elle regarde le nord et le continent de l'Italie, est fermée par des montagnes presque inaccessibles qui se joignent les unes aux autres, et au bas desquelles on trouve de bonnes rades pour les vaisseaux. Mais du haut de ces montagnes s'élèvent des vents très violents et qui varient sans cesse, ce qui rend pour l'ordinaire la mer fort grosse et fort agitée.
[12] Au milieu de l'île il y a des montagnes beaucoup moins hautes ; mais l'air renfermé entre celles-ci est fort malsain, soit à cause des sels épais qu'y apporte le voisinage de la mer, soit parce que le vent du midi y règne continuellement. Car ces hautes montagnes qui sont du côté de l'Italie empêchent que dans les plus grandes chaleurs le vent du nord ne vienne rafraîchir l'air et la terre de cette partie de la Sardaigne. Il se peut faire aussi que l'île de Corse, qui n'en est séparée que par un bras de mer de la largeur de huit stades, et qui est pleine de montagnes fort hautes, ne permette pas au vent d'ouest et au vent du nord de se faire sentir jusqu'en Sardaigne.
[12] On ne voit ni serpents, ni bêtes venimeuses, ni aucuns loups dans cette île. Les chèvres n'y sont pas plus grandes qu'ailleurs ; mais elles ressemblent à ce bélier de terre cuite, fait par un potier de l'île d'Egine, avec cette différence qu'elles ont de plus grands poils sous le menton, et que leurs cornes, au lieu d'être toutes droites sur la tête, sont rabattues et courbées vers l'oreille : au reste, ces chèvres passent tous les autres animaux en légèreté et en vitesse.
[13] Il n'y a dans toute l'île qu'une seule herbe qui soit vénéneuse ; elle est faite comme de l'ache, et l'on dit que ceux qui en mangent meurent en riant. C'est pourquoi Homère et les autres après lui, ont appelé rire sardonien cette espèce de rire qui n'est causé par aucune joie, ni par rien d'agréable. Cette herbe croît auprès des fontaines ; mais elle ne communique point à l'eau son poison. J'ai cru pouvoir insérer cette digression dans l'histoire de la Phocide, parce que la Sardaigne est encore fort peu connue des Grecs.